DÉVELOPPEMENT HUMAIN

DÉVELOPPEMENT HUMAIN
DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Le verbe latin volvere (dans sa forme active faire rouler, faire avancer; dans sa forme neutre, tourner) a engendré voloper en vieux français. Dès le XIIe siècle, on oppose déjà envelopper (enrouler) et développer (dérouler). Au XVe siècle le substantif «développement» apparaît, utilisé indifféremment pour évoquer le bourgeon ou la fleur qui s’ouvrent, ou l’animal qui naît et grandit.

Le développement fait intervenir l’ensemble des mécanismes qui, à partir d’unités élémentaires, édifient au sein de l’individu des ensembles de plus en plus complexes agissant en relation les uns avec les autres. Les interactions ainsi que la dépendance étroite de ces mécanismes tant à l’égard du programme génétique qu’à l’égard de l’environnement rendent compte de cette complexité: «toute vue sur ce sujet ne peut être, si elle se veut rigoureuse, que partielle et provisoire dès que l’on quitte le terrain monocellulaire» (A. Minkowski).

S’agissant de l’étude du développement de l’être humain, comme de tout être vivant sous le régime de la reproduction sexuée, il est commode bien qu’artificiel d’en subdiviser le déroulement en quatre phases chronologiquement successives sans nette césure entre elles: la fécondation, l’organisation, la maturation, la sénescence enfin, qui est un développement «négatif».

Le programme génétique, immuable dès l’instant de la fécondation, est l’une des composantes de l’histoire de l’être. L’autre composante, variable, imprévisible, c’est l’environnement, qui intervient tout au long de la vie de l’individu. Si tout se passe bien, fécondation, organisation, maturation, sénescence seront «physiologiques», mais il peut arriver que la séquence naissance-vie-mort ne s’inscrive pas dans la norme: on parlera, selon la phase perturbée, de dyszygotie, de dysplasie, de dysmaturation, ou de dyssénescence.

1. La fécondation et l’héritage génique

Le terme savant pour désigner l’œuf, «zygote», dérive d’un mot grec 﨣羽塚礼益 qui signifie le «joug». C’est la même racine que l’on trouve à l’origine des termes «conjugaison» ou «conjugal». Lors de la reproduction sexuée, le programme génétique paternel et le programme génétique maternel vont «conjuguer» leurs possibilités. Les données génétiques pour l’enfant à naître sont irréversibles à l’instant même où la fécondation est réussie: chaque individu a reçu un patrimoine et un «matrimoine» génétiques définitifs.

La fécondation normale (ou euzygotie)

Un être sexué, mâle ou femelle, ne peut pas donner à son futur descendant tout ce qu’il a reçu lui-même de son père et de sa mère. S’il en allait ainsi un zygote serait équipé du programme de ses quatre grands-parents. Il en est autrement à cause d’un des phénomènes les plus curieux de la biologie, la réduction chromatique ou méiose qui marque la genèse des cellules sexuelles mûres ou gamètes (gamétogenèse). Les cellules-souches de l’ovaire et du testicule, qui disposent encore du même nombre (2 n ) de chromosomes que toutes les autres cellules de l’individu vont, vers la fin de la gamétogenèse, réduire le nombre de leurs chromosomes de 2 n à n . Dans l’espèce humaine le noyau d’une cellule du foie, du rein, de la peau, du cerveau contient 46 chromosomes. Les noyaux d’un spermatozoïde et d’un ovule mûr contiennent, après réduction, 23 chromosomes. Les paires de chromosomes homologues, d’abord étroitement unies dans les cellules génitales primitives (au point qu’elles peuvent échanger réciproquement, crossing-over – ou enjambement – par rupture puis recombinaison, telle ou telle partie de leurs programmes) vont subir une disjonction et chaque chromosome va occuper une cellule sexuelle différente de celle que va occuper son ancien homologue. Quand la fécondation aura lieu, le noyau de la cellule mâle et celui de la cellule femelle, contenant chacun la moitié de l’effectif total des chromosomes, fusionneront et restitueront au zygote le nombre 2 n , soit 46 chromosomes.

Contrairement à ce qui se passe dans le sexe masculin, où méiose et formation de spermatozoïdes ne commencent qu’à partir de la puberté, chez la femme (comme chez les autres Vertébrés supérieurs), c’est au cours du développement de l’embryon que débute la formation des ovules. Dès le premier tiers de la vie embryonnaire de la future petite fille, ses cellules germinales commencent leur méiose, mais celle-ci se bloque à sa première étape et restera ainsi bloquée jusqu’à la fécondation de l’ovule, des années plus tard (si cette fécondation survient).

Des frères et des sœurs peuvent présenter un «air de famille». En réalité ils n’ont qu’une chance contre 223 d’être identiques à la suite du brassage chromosomique. Si l’on songe que le crossing-over suivi de l’échange réciproque de gènes entre chromosomes homologues accroît encore ces occasions de diversité, on réalise qu’aucun être humain ne ressemble totalement et n’a jamais ressemblé exactement à tout être humain à venir ou ayant vécu (si l’on excepte le cas très particulier des vrais jumeaux dits monozygotes, d’où l’intérêt de leur étude pour les généticiens). Ces mécanismes génétiques naturels rendent compte du polymorphisme en général, et humain en particulier.

Pour atteindre l’ovule et le féconder, le spermatozoïde doit subir une maturation complexe et l’ovule doit être prêt à l’accueillir et à permettre l’autonomie des premiers stades du développement. La microscopie électronique (phénomènes morphologiques) et la biochimie (phénomènes moléculaires) révèlent que ces transformations sont coordonnées.

Phénomènes morphologiques

Le spermatozoïde (en concurrence avec plusieurs dizaines ou centaines de ses congénères, seuls parvenus jusqu’à la trompe, dans laquelle l’ovule roule doucement à leur rencontre) comporte une tête effilée en pointe, l’acrosome, qui secrète des enzymes «digestives» (leur structure est proche de celle de la trypsine pancréatique) grâce auxquelles il pourra franchir d’abord la zone pellucide, amas gélatineux amorphe qui entoure l’ovule comme un halo, puis successivement les deux membranes ovulaires (membrane vitelline et membrane plasmique). Au passage, une fusion se produit entre les membranes respectives des cellules sexuelles et la tête du spermatozoïde pénètre dans l’ovule comme si elle y était littéralement absorbée (fig. 1). À cet instant, des milliers de vésicules, les «granules corticaux» situés sous la membrane plasmique, fusionnent avec elle et déversent, dans l’interstice ainsi créé, leur contenu (enzymes et mucopolysaccharides sulfatés). Un clivage se produit et toute possibilité pour un autre spermatozoïde de pénétrer à son tour dans l’ovule est désormais coupée (cf. photo). Tous les spermatozoïdes restés à la surface se détachent et meurent.

Le spermatozoïde fécondant achève son entrée, perd son flagelle. Son noyau effectue une rotation à 180 degrés et migre à la rencontre du noyau de l’ovule dont la méiose n’est pas achevée, comme on l’a vu plus haut. Cette méiose est alors déclenchée et les n chromosomes maternels en surnombre (23 dans l’espèce humaine) sont expulsés du zygote sous l’aspect du globule polaire , cellule sans avenir. Les noyaux paternels et maternels fusionnent, ce qui permettra la constitution d’un caryotype dit «diploïde»: 2 n = 46 ou plus exactement 44 autosomes plus 2 chromosomes sexuels XX pour un individu féminin et XY pour un individu masculin. Lorsque la fusion des noyaux est tardive, l’absence d’intégration des deux génomes lors des premières divisions du zygote est l’une des explications possibles de l’existence d’individus en mosaïque . On appelle ainsi des sujets dont toutes les cellules ne contiennent pas exactement la même garniture chromosomique (cf. infra ).

Phénomènes moléculaires

Un ovule non encore fécondé est «au repos». Ses synthèses sont pratiquement nulles. L’entrée du spermatozoïde déclenche son réveil en amorçant un programme déjà en place dans l’œuf (en effet, dans certaines expérimentations, une simple piqûre peut produire le même effet que la fécondation, mais l’œuf reste avec sa seule garniture femelle à n chromosomes: c’est la parthénogenèse, normale dans certaines espèces, mais non viable dans l’espèce humaine). Ce programme comporte des manifestations précoces et des manifestations tardives.

Dans le cas de manifestations précoces, la libération massive des ions calcium en réserve dans l’ovule crée les conditions nécessaires au métabolisme de l’actine, et peut-être de la tubuline, protéines contractiles qui vont sous-tendre tous les futurs «fuseaux» de division mitotique de l’œuf. Puis se produit une entrée massive d’ions sodium et une libération d’ions hydrogène acide. Le résultat est une alcalinisation temporaire mais forte de l’œuf (augmentation du pH intra-cellulaire).

S’agissant de manifestations tardives, la consommation d’oxygène s’élève, des dérivés phosphorylés générateurs d’énergie apparaissent ainsi que des enzymes du métabolisme des sucres, notamment la glucose-6-phosphate déshydrogénase. Les nucléosides puis les aminoacides sont activés. La synthèse des acides nucléiques et des protéines devient décelable. Les divisions cellulaires de l’œuf peuvent commencer. C’est la segmentation (fig. 2).

La fécondation anormale (ou dyszygotie)

La moindre faille dans ces mécanismes précis aboutit à une fécondation anormale. L’euzygotie devient dyszygotie . Ou bien l’anomalie frappe une cellule sexuelle avant la fécondation (anomalie prézygotique), ou bien le zygote ayant été normalement conçu, l’anomalie survient dès le premier stade de l’embryogenèse (anomalie postzygotique).

Anomalies prézygotiques

Dans le syndrome de Turner , le caryotype est généralement 45, X. L’un des gamètes ne comprenait pas de chromosome sexuel. Le sujet né de cet œuf est une femme en apparence, mais de petite taille et sans ovaire, donc sans ovulation.

Dans le syndrome de Klinefelter , le caryotype est généralement 47, XXY. Le sujet né de cet œuf est un homme dont la verge est normale mais les testicules atrophiés. Il n’y a pas de spermatozoïdes dans le sperme.

Dans les trisomies , un des gamètes a apporté les deux éléments d’une même paire chromosomique qui n’ont pas effectué leur disjonction lors de la méiose (cf. supra ). Si ce gamète est impliqué dans une fécondation, le noyau du zygote et toutes les cellules de l’embryon qui en dérivent comportent 47 chromosomes (par exemple la trisomie du chromosome 16 qui aboutit rapidement à un œuf clair dont l’embryon se résorbe, les trisomies 13 et 18 qui entraînent des malformations si graves que le nourrisson ne survivra guère, la trisomie 21, appelée autrefois mongolisme, et qui est la plus fréquente des malformations congénitales: 1 sur 600 naissances).

Dans la triploïdie qui provoque soit un avortement précoce avec dégénérescence kystique du placenta, soit la naissance d’un enfant polymalformé non viable, le stock chromosomique du zygote est triple (3 n ) au lieu de double, avec 69 chromosomes. L’accident dépend soit du fait que la cellule femelle a conservé ses 46 chromosomes (di-gynie) sans s’être «réduite», soit du fait que le même phénomène a touché une cellule mâle (di-andrie).

Dans la môle hydatiforme , il n’y a pas d’embryon. Le placenta dans sa totalité est frappé de dégénérescence kystique et peut laisser dans l’utérus après avortement des fragments susceptibles de dégénérescence tumorale. On pense que l’anomalie est liée à la fécondation d’un ovule sans noyau par un spermatozoïde 23, X normal qui se dédouble après fécondation pour donner un œuf 46, XX sans «matrimoine» (androgenèse).

Les remaniements chromosomiques survenus au cours de la gamétogenèse sont des anomalies de structure et non plus de nombre. Un sujet sur cinq cents porte ainsi une translocation d’une partie d’un chromosome sur un autre chromosome et réciproquement. Ailleurs il s’agit d’une inversion d’un chromosome (cf. HOMME - Caryotype). Ces sujets ne présentent aucune anomalie externe mais leur méiose peut être altérée et donner issue à des gamètes «déséquilibrés» (par excès ou par défaut de matériel chromosomique). Lorsque chez un couple un tel sujet (homme ou femme) a été identifié à la suite par exemple d’avortements répétés chez la femme, ou de la naissance d’un polymalformé, une amniocentèse doit être proposée en cas de grossesse.

Depuis 1960 les corrélations entre anomalies chromosomiques et stérilité, infécondité par avortements successifs et malformations sont bien établies. On pense aujourd’hui qu’environ un œuf humain sur trois est anormal et certains d’entre eux sont éliminés avec les règles avant même que la femme ait conscience de sa grossesse (fig. 3).

Anomalies post-zygotiques

Ce sont plus des «curiosités» que de véritables échecs de la reproduction, comme dans les cas précédents.

Les mosaïques . Elles proviennent d’un même zygote chez lequel un accident chromosomique est survenu alors que l’œuf avait commencé à se diviser: par exemple une des cellules nouvelles perd un chromosome (l’Y par exemple, souvent «à la traîne» – lagging chromosome des auteurs anglo-saxons) et toutes les cellules qui descendent d’elles auront ce chromosome en moins. Ainsi, un sujet «mosaïque» dont le caryotype compte à la fois des clones cellulaires 46, XY et des clones cellulaires 45, X sera désigné comme mosaïque 46, XY/45, X. Il présente généralement une ambiguïté de ses organes génitaux internes et externes. Les mosaïques portant sur les autosomes (chromosomes autres que les chromosomes sexuels) sont plus rares. Les mosaïques 46, XX (ou XY)/47, XX (ou XY) + 21 sont des variantes de la trisomie 21 et représentent un éventail clinique pouvant aller d’une constitution physique quasi normale jusqu’à l’aspect du trisomique 21 classique.

Les jumeaux vrais . On les dit encore monozygotes car ils dérivent au départ d’un œuf unique. Ils résultent de la fécondation normale d’un seul ovule par un seul spermatozoïde. Mais l’œuf ainsi fécondé se clive ensuite en deux embryons distincts, cette séparation pouvant se produire à des moments différents, à la première division de l’œuf en deux cellules ou à un stade plus avancé du développement embryonnaire. Les jumeaux monozygotiques représentent deux copies identiques d’un même individu, possédant exactement le même génome. Dans certains cas pathologiques, si la séparation anatomique entre les jumeaux se produit trop tard, ils peuvent demeurer unis de manière plus ou moins importante et constituent alors les monstres doubles ou siamois.

Les chimères . Individus composites ayant des origines génétiques différentes, elles sont très rares dans l’espèce humaine:

– ou bien un jumeau dizygotique, dont le frère ou la sœur est généralement mort à la naissance, a reçu par transfusion du tissu hématopoïétique (moelle osseuse) de celui-ci: on lui découvre fortuitement plus tard en faisant son groupage sanguin, deux populations sanguines de groupes différents;

– ou bien il y a double fécondation d’un ovule à deux noyaux par un spermatozoïde 23, X et par un spermatozoïde 23, Y. L’œuf est une chimère avec des cellules XX et des cellules XY – il existe alors un état intersexué (fig. 4);

– ou bien il s’est produit la fusion de deux zygotes proches l’un de l’autre. Un tel phénomène a été observé expérimentalement. Il n’est pas prouvé dans l’espèce humaine.

2. L’organisation

S’il n’y a pas eu échec de la reproduction, l’embryon implanté va prendre forme en dix semaines. Encore faut-il que le programme génétique présent dans le noyau à l’instant de la fécondation lui confère délimitation et aspect «humains», non seulement conformes à son espèce, mais aussi conformes à ce que l’on constate chez la majorité des individus de cette espèce qui se reconnaissent entre eux comme «normaux»: en ce cas la mise en forme de l’individu sera dite euplasique .

Toute déviation, si minime soit-elle, sera considérée a contrario comme une dysplasie . Ce terme savant de «plasie» dérive du grec 神凞見靖靖諸, «je façonne», «je modèle», qui évoquait à l’époque hellénique classique le travail du potier.

L’organisation normale (ou euplasie)

Son approche, qui exclut toute expérimentation humaine pour des raisons faciles à comprendre, n’est pas simple. Néanmoins quelques phénomènes communs à tous les Vertébrés permettent de dégager des lois élémentaires éclairant le programme normal de l’espèce, le programme normal de l’individu, donc le programme normal des cellules qui vont prendre place et rôle au sein de l’embryon humain.

Le programme de l’espèce

Homo sapiens a conservé des caractères archaïques au sein d’innombrables nouveautés qui le caractérisent. Et la théorie longtemps vilipendée d’Ernst Haeckel (1866) reprend quelque vigueur: l’ontogenèse (c’est-à-dire le phénomène qu’étudie l’embryologie, ces transformations par lesquelles passe l’individu dans son développement depuis l’œuf jusqu’à l’état achevé) est une courte récapitulation de la phylogenèse (c’est-à-dire de l’évolution). «L’ontogenèse, écrit H. Laborit, reproduit en quelques heures, jours ou semaines selon les espèces, la longue histoire de la vie étalée sur des millions d’années. Mémoire, stockage des innombrables informations accumulées par la matière vivante tout au long des âges de notre Terre, tout est là, fixé pour un temps dans l’arrangement spatial d’un acide désoxyribonucléique.»

Dans le cas de l’embryon humain, trois mois de multiplications, de migrations, de différenciations cellulaires récapitulent 500 millions d’années d’évolution. On ne peut qu’être frappé des similitudes morphologiques et fonctionnelles existant entre le schéma structurel d’un embryon humain de quatre semaines et celui d’un poisson (fig. 5). Mais le poisson ne dispose pas de choanes; son hématose est assurée par des branchies; sa vésicule cérébrale antérieure reste indivise et ne forme pas d’hémisphères cérébraux. L’adulte d’Amphibien, après le stade larvaire, acquiert des poumons et des pattes. Chez les Reptiles actuels, le ventricule cardiaque est incomplètement cloisonné; deux crosses de l’aorte, droite et gauche, se réunissent dorsalement, formant un collier autour de la trachée et de l’œsophage pour donner ensuite une aorte unique. Chez les Oiseaux et chez les Mammifères, la séparation entre les deux ventricules est assurée: mais chez les premiers le cœur et l’aorte sont à droite, chez les seconds le cœur et l’aorte sont à gauche.

L’embryon humain développe successivement trois systèmes d’excrétion urinaire: le pronéphros , rein de fœtus d’orvet, qui ne sera jamais fonctionnel et disparaîtra complètement; le mésonéphros , rein normal des reptiles, qui fonctionne quelques jours chez le fœtus de lapin, laissera dans notre espèce quelques vestiges; le métanéphros , notre rein définitif.

La récapitulation se double donc d’une rudimentation , qu’on appelle aussi «mort cellulaire». Cet autre phénomène peut découler de l’entrée en jeu de mécanismes variés: absence de stimulation par un facteur hormonal, inhibition du développement d’une ébauche (à la sixième semaine de gestation, l’embryon possède un appendice caudal de 12 vertèbres qui sera rapidement résorbé) sous l’effet d’un processus génétiquement programmé. La future main, le futur pied sont le siège de nécroses, de morts cellulaires qui vont faire apparaître au cours du deuxième mois les cinq rayons digitaux définitifs sans leur palmure. Les morts cellulaires frappent bien d’autres régions, la membrane qui fermait le pharynx, la chorde dorsale, le canal anal, certaines zones des ébauches des membres où se créent des fentes synoviales, origine des futures articulations, les éléments branchiaux, le pédicule du corps thyroïde, les narines et les paupières qui seront remodelées. Il est intéressant de noter que le système nerveux central ne connaîtra pratiquement aucune rudimentation.

Le programme de l’individu

La période d’organisation de l’être humain a été divisée en 23 stades fondés sur l’examen de 600 spécimens d’embryons reconstruits à l’institut Carnegie de Washington. Ces stades (dits «stades Carnegie») sont décrits dans les ouvrages classiques d’embryologie humaine auxquels nous renvoyons le lecteur.

Dans une vue synthétique, il est possible d’envisager successivement les grands événements qui jalonnent la période d’organisation dont tout échec conduit à la naissance d’un nouveau-né dysplasique:

1. L’axe nerveux . Durant la troisième semaine (14e au 21e jour), des cellules de la ligne dorsale primitive s’enfoncent en doigt de gant sous cette ligne et progressent vers l’avant pour former la chorde dorsale ou notochorde. Cette structure aidera au positionnement de la gouttière neurale qui deviendra tube neural. Après avoir occupé une situation importante, la chorde dégénère et ses cellules disparaissent sauf en certains points (nucleus pulposus des disques intervertébraux).

À la fin de la quatrième semaine (28e jour), le tube nerveux est fermé. Il induit autour de lui la formation du squelette vertébral qui le protégera.

À la fin de la cinquième semaine (35e jour), le système à trois vésicules du tube nerveux du poisson comporte désormais cinq vésicules. La plus antérieure (prosencéphale) devient télencéphale en donnant de part et d’autre de la ligne médiane les hémisphères cérébraux.

Jusqu’à la fin du quatrième mois, les neurones se multiplient à partir de la couche germinative du tube neural. Les neurones migrent le long des guides, préétablis par des cellules de la névroglie, vers l’écorce cérébrale qu’ils vont former.

Au cinquième mois, l’essentiel du système nerveux central et des organes des sens est en place. Le programme génétique a tenu la plus grande part de ses responsabilités. Si le fœtus est frappé à travers sa mère à ce stade de son développement par un agent de l’environnement, il y aura destruction cérébrale et non plus faute innée du développement.

2. Les crêtes neurales . Les travaux expérimentaux de Nicole Le Douarin et de ses élèves sur les chimères «caille-poulet» ont permis de mieux comprendre l’importance de ces formations situées de part et d’autre du tube neural (fig. 6) et d’où vont partir pour une migration parfois très lointaine toute une série de cellules qui donneront notamment les méninges, les cellules de la gaine des nerfs, les cellules du système nerveux dit autonome (sympathique et parasympathique) et leurs dérivés tels que la glande médullo-surrénale, les cellules pigmentaires, les cellules dermiques et vasculaires de la face, certaines cellules à potentialité endocrinienne de l’hypothalamus, du tube digestif, du pancréas et du corps thyroïde.

3. La face et le cou . À la fin de la huitième semaine, les structures responsables de l’achèvement de la face et du cou ont accompli l’essentiel de leur programme. Il n’y a plus de fentes ni d’arcs branchiaux (qui rendaient si apparemment semblables l’embryon humain et certains Vertébrés qui le précèdent dans l’histoire de l’évolution). Les ébauches oculaires nées très latéralement se rapprochent de la ligne médiane. Une ébauche de pavillon d’oreille apparaît et remonte progressivement pour prendre sa place définitive.

4. Les membres . Leur ébauche apparaît sous la forme de bourgeons au début de la cinquième semaine. Vers la sixième semaine on peut distinguer les matrices cartilagineuses qui préfigurent les os des membres. Doigts et orteils sont séparés par les nécroses interdigitales. Les articulations se créent et les trois segments de chaque membre apparaissent nettement à la huitième semaine (fig. 7).

5. Le pôle caudal . De la quatrième à la septième semaine du développement, le cloaque primitif se divise en une partie postérieure, le canal ano-rectal, et une partie antérieure, le sinus uro-génital. Celui-ci est achevé à la fin de la huitième semaine, mais le sexe du fœtus n’est pas encore discernable extérieurement. Les organes génitaux externes, dont le développement est induit par les sécrétions du testicule, ou de l’ovaire (eux-mêmes induits par la garniture chromosomique XY dans le premier cas, XX dans le second), ne seront définitivement «sexualisés» qu’à la fin de la douzième semaine. Au septième mois les testicules doivent avoir achevé leur descente dans le scrotum.

6. Les organes internes . Au début du deuxième mois les viscères sont tous à l’état d’ébauche. À la fin du deuxième mois ils ont atteint pratiquement leur plein développement si l’on excepte l’appareil génital interne, le métanéphros, l’appareil urinaire excréteur et les hémisphères cérébraux (fig. 8).

7. Le cœur . Sous la forme d’un simple tube cardiaque, le cœur est déjà animé de battements dès la quatrième semaine. Il va parcourir en un mois le trajet complexe qui aboutit à la formation d’un cœur cloisonné et au positionnement des gros vaisseaux de la base. Les ultimes modifications, dont l’oblitération du canal artériel, surviendront à la naissance lorsque l’hématose de l’enfant devra être assurée par les poumons après la section du cordon ombilical.

8. Le tube digestif , les annexes digestives et l’appareil respiratoire . À huit semaines la langue est formée, l’œsophage et l’estomac ont leur place définitive. Le fœtus avale le liquide amniotique que le rein commence à sécréter largement. Les lobes et les bronches se segmentent et les mouvements de la cage thoracique aspirent et rejettent ce liquide qui contribue à développer les futures alvéoles. L’intestin s’allonge considérablement et s’accole, suivi par le développement du mésentère et de ses vaisseaux. Le rectum se sépare de la vessie et de l’urètre. Le foie, dont le premier bourgeon est né très tôt (3e semaine) à partir du tube digestif, représente à dix semaines le dixième du poids du fœtus. Il fait saillie longtemps sous la paroi abdominale où l’ombilic prend sa forme définitive, mais contient encore des anses grêles qui réintégreront la cavité abdominale au cours de la sixième semaine.

Le programme cellulaire

Le vocable de substances «inductrices» transmettant d’une cellule à l’autre des messages morphogénétiques, la notion de «centre organisateur» ont masqué depuis le début du siècle l’ignorance profonde dans laquelle se trouvaient les biologistes à propos du phénomène de l’organisation.

L’époque actuelle, avec l’affinement des moyens d’investigation, l’utilisation conjointe des techniques de microscopie à haute résolution, de biochimie moléculaire et d’immunologie apporte un peu plus de clarté sur le comportement de la cellule embryonnaire. Celle-ci, comme toute cellule, comporte des gènes de structure hérités des deux parents; formés d’ADN, ces gènes, par l’intermédiaire d’ARN-messager, codent pour la synthèse de protéines enzymatiques ou non enzymatiques (fig. 9).

Le maître mot de l’embryologie, c’est la reconnaissance cellulaire : les cellules embryonnaires voisines communiquent au niveau de leurs membranes en des points appelés junctions-gaps (ou jonctions lacunaires) en un temps donné, en un lieu donné. À ce niveau, d’innombrables tunnels laissent traverser des molécules de faible masse moléculaire et représentent autant d’échanges temporaires de signaux.

Des données nouvelles sur la multiplication cellulaire ont été aussi apportées par l’observation de cultures organotypiques soumises à l’action de facteurs de croissance (E.G.F. ou facteur de croissance épidermique, qui stimule chez le rat nouveau-né l’ouverture précoce des paupières et les poussées dentaires, N.G.F. ou facteur de croissance nerveux, F.G.F. ou facteur de croissance des fibroblastes qui stimule les cellules cartilagineuses et musculaires embryonnaires, les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins et de la cornée, toutes cellules dérivées du mésoderme).

La genèse des formes est aussi faite de migrations cellulaires : il semble bien que certaines cellules migrantes soient douées de mouvements actifs dans lesquels microtubules et microfilaments formés d’actine (la substance contractile qu’on retrouve dans le muscle) joueraient un rôle important. La migration fait appel à la notion de «chemin». Ce chemin peut être long: une cellule du système nerveux autonome du gros intestin doit franchir sans encombre la distance qui sépare les crêtes neurales de cette portion du tube digestif. La pénétrabilité des milieux parcourus dépend aussi des espaces intercellulaires traversés et de leur teneur en acide hyaluronique et en plasminogène. La cellule doit atteindre la cible pour laquelle elle est programmée et acquérir sa différenciation. Les cellules sont-elles sous la forme d’une population homogène génétiquement programmée avant que la migration n’ait commencé, ou sont-elles sous la forme de populations à potentialités diverses? Dans ce cas, la différenciation dépendra de leur interaction avec l’environnement qu’elles traversent puis rencontrent à leur arrivée.

Presque tout reste encore à découvrir à ce sujet.

L’organisation anormale (les dysplasies)

Dans la terminologie médicale française, le terme de «dysplasie» tend à remplacer celui de malformation (surtout lorsqu’il est assorti de l’épithète «congénitale», ce qui est un pléonasme) qui impliquait un éventail trop large d’anomalies plus ou moins bien définies (le piedbot, par exemple, n’est pas, dans la grande majorité des cas, une malformation, mais une «déformation», séquelle d’une anomalie orthopédique au cours du séjour dans l’utérus). Les Anglo-Saxons qui parlent de birth defects ont assigné, eux aussi, à l’expression un champ très large qui inclut tous les défauts remarqués le jour de la naissance.

Au sein des dysplasies proprement dites on distingue (parfois arbitrairement, mais cette clarification a plus d’avantages que d’inconvénients) les dysplasies des tissus ou histodysplasies et les dysplasies de la forme ou morphodysplasies.

Les dysplasies des tissus ou histodysplasies

Elles frappent un tissu ou plusieurs tissus et sont le plus souvent héréditairement transmises par un gène défectueux (non visible sur le caryotype, qui est normal). Certaines d’entre elles, en particulier les histodysplasies dont l’origine réside dans la migration des cellules embryonnaires à partir de la crête neurale, ne sont pas fixées à la naissance. Elles peuvent évoluer par poussées, créant par exemple des tumeurs multiples, bénignes ou malignes, des anomalies de la pigmentation (taches café au lait, ou au contraire taches dépigmentées), ou des angiomes, c’est-à-dire des malformations vasculaires.

Les dysplasies de la forme ou morphodysplasies

Elles sont fixées, non évolutives. Si le chirurgien n’intervient pas, une fissure de la lèvre et du palais (bec-de-lièvre), une imperforation de l’anus ne guériront pas spontanément. Leurs conséquences à long terme (troubles esthétiques et de la phonation dans le premier cas) ou à court terme (occlusion intestinale dans le second cas) sont en quelque sorte mécaniques, inéluctables. Dans l’espèce humaine, il n’y a aucune chance de voir un doigt manquant, un segment de membre manquant reprendre ultérieurement sa croissance.

Les morphodysplasies sont créées par un programme génétique incorrect et dans ce cas l’anomalie vient:
a ) soit de la mutation d’un gène et l’étude du caryotype n’apportera aucun éclaircissement. Il sera normal car l’examen au microscope de la garniture chromosomique d’une cellule de l’organisme (cf. HOMME – Caryotype) ne permet pas de «voir les gènes» mais seulement de compter le nombre des chromosomes et de distinguer leur structure générale (existence d’une perte d’un segment de chromosome – délétion – ou du recollement après rupture d’une partie d’un chromosome sur un autre chromosome – translocation). Ainsi dans la polydactylie (existence de plus de cinq doigts ou orteils); la luxation de la hanche, en voie de disparition parce qu’on la dépiste et qu’on la traite par des moyens non chirurgicaux, dès la naissance. Dans la maladie kystique des reins, par exemple, l’anomalie est héréditaire, se transmet de génération en génération, mais l’examen des chromosomes ne montrerait rien d’anormal.
b ) soit l’anomalie vient d’une aberration «visible» d’un ou de plusieurs chromosomes, et le caryotype est indispensable pour caractériser cette anomalie. S’il montre un chromosome en triple exemplaire (au lieu normalement d’être en double exemplaire), c’est une trisomie. Lorsqu’elle porte sur le chromosome 21, il s’agit d’une trisomie 21 qui crée les malformations dont l’ensemble caractérise ce que l’on appelait autrefois le mongolisme, la plus fréquente des aberrations chromosomiques . Actuellement, on a identifié le tableau clinique caractéristique d’une soixantaine d’aberrations. Une ponction du liquide amniotique, ou amniocentèse, pratiquée chez une femme «à risque» (âge supérieur à 38 ans, existence d’une translocation équilibrée chez l’un des géniteurs) permet de dépister ce genre de malformations dans l’utérus, dès la dix-septième semaine de la grossesse [cf. ANTÉNATOLOGIE].

Les morphodysplasies peuvent aussi être créées par un «accident de l’embryogenèse» intervenu lors du développement de l’embryon au cours de ses deux ou trois premiers mois. La morphodysplasie constatée lors de la naissance ne sera pas héréditaire: c’est le cas de la rubéole du fœtus chez une mère non vaccinée (cataracte et/ou malformation cardiaque, surdité, retard intellectuel), de la toxoplasmose créée par un parasite (hydrocéphalie, retard intellectuel, rétinite), de l’action d’un médicament dangereux utilisé par la mère lors des deux ou trois premiers mois de sa grossesse: la terrible épidémie de la Thalidomide (1961) qui a créé des milliers d’enfants atteints de graves malformations des membres en est un exemple. De tels accidents sont très rares aujourd’hui, car une molécule susceptible d’être nuisible à l’égard de l’embryon ne reçoit pas l’autorisation d’être commercialisée ou, si elle doit l’être pour traiter certaines maladies graves, le médecin prescripteur est dûment averti de ses potentialités tératogènes par le fabricant.

Quoi qu’il en soit, de nombreux cas de malformations dans l’espèce humaine sont encore d’origine inconnue. Il semble exister dans notre espèce un taux «incompressible» de 2 p. 100 de nouveau-nés malformés reconnus à la naissance. Peut-être certaines de ces anomalies sont-elles la rançon d’une récapitulation ou d’une rudimentation (à commande génétique) «ratées»: non-perforation de la membrane qui obture les fosses nasales postérieures chez le poisson (choanes), persistance d’une fente, d’un kyste dérivés d’une branchie non résorbée, certaines malformations du cœur non cloisonné ou placé à droite dans le thorax (dextrocardie), soudure des doigts et des orteils (syndactylie), tumeurs développées aux dépens de cellules embryonnaires non résorbées (fragments de chorde dorsale par exemple).

Les généticiens médicaux sont qualifiés pour établir à l’intention des parents un calcul de risque que présente le couple de donner naissance à un enfant atteint d’une morphodysplasie ou d’une histodysplasie.

3. La maturation

Les Latins qualifiaient de maturus «ce qui se produit au bon moment». Des phénomènes biologiques temporels, mais aussi spatiaux, vont survenir à cette phase du développement qui fait suite, sans démarcation nette le plus souvent, à la phase précédente d’organisation.

Les organes internes d’un nouveau-né humain fonctionnent dès son premier cri: si son cœur bat depuis plusieurs mois, ses poumons inspirent et expirent l’air atmosphérique à cet instant, un peu plus vite toutefois qu’ils ne le feront plus tard. Sa moelle osseuse, ses organes lymphoïdes, dans des proportions différentes (mais qui tendront à rejoindre celles de l’adulte), émettent en nombre adéquat dans le torrent circulatoire, globules rouges, plaquettes, polynucléaires et lymphocytes. Ces derniers, grâce pour certains d’entre eux au thymus (lymphocytes T), vont acquérir les propriétés de reconnaissance du soi et du non-soi qui font qu’un individu n’est semblable qu’à lui-même si l’on excepte le cas des jumeaux vrais.

Chez l’enfant né avant terme, il arrive que la maturation enzymatique ne soit pas parfaite. On peut imaginer que le programme génétique n’a pas eu le temps (ce n’était pas son «heure») de se mettre à fonctionner. On explique de la sorte certains ictères du nouveau-né qui tardent à s’éclaircir. Certaines molécules médicamenteuses, des agents physiques (lumière bleue monochromatique) viendront à bout de l’anomalie.

Par ailleurs, le prématuré saigne facilement car sa production de vitamine K, et la production de prothrombine dont cette vitamine favorise l’élaboration ne sont pas encore synthétisées à leur taux physiologique. Les néo-natologistes connaissent bien et savent pallier ces phénomènes d’«immaturité enzymatique» liés à la prématurité.

Il n’est pas possible de décrire en détail le phénomène de maturation pour tous les organes, en leur temps et en leur lieu. Mais il est trois systèmes essentiels qui méritent d’être étudiés de plus près, car ils conditionnent directement le développement humain dans son ensemble:

– la maturation osseuse et la croissance staturo-pondérale qui sont l’apanage de tous les Vertébrés;

– la maturation sexuelle et la puberté qui ouvrent aux possibilités de la reproduction et qui se déclenchent de façon assez comparable chez tous les Mammifères;

– la maturation cérébrale liée aux immenses possibilités de développement du cerveau et plus particulièrement du cortex, et qui sont propres à l’être humain.

Toutes ces fonctions sont génétiquement programmées, avec quelques variations ethniques (la petite taille des Pygmées serait liée – selon Mérimée et coll., 1981 – à un déficit marqué en un des facteurs hormonaux de croissance dit somatomédine C), et avec quelques variations liées à l’environnement (depuis un siècle, la croissance staturale a augmenté de 10 à 15 cm dans les populations européennes et d’Amérique du Nord pour des raisons extérieures imparfaitement connues).

L’intervention directe ou indirecte des synthèses hormonales est évidente dans les trois systèmes pris comme exemple (releasing factors d’origine hypothalamique, hormones anté-hypophysaires, sexuelles, thyroïdienne).

La maturation osseuse et la croissance staturo-pondérale

L’œuf humain invisible à l’œil nu, le nouveau-né humain qui pèse en moyenne 3,2 kg et mesure environ 50 centimètres, l’adulte que nous connaissons et dont le poids et la taille varient sensiblement selon le sexe et l’ethnie d’origine, témoignent, lorsqu’on les compare, de l’inexorable programmation et des effets remarquables de la croissance en taille et en poids (fig. 10). Celle-ci est conditionnée avant tout par le développement harmonieux de l’appareil squelettique [cf. OS].

1. L’ostéogenése à point de départ membraneux (voûte du crâne, sternum, côtes par exemple) se fait par apposition directe, sous action enzymatique, d’une minéralisation phosphocalcique, au contact même des fibroblastes situés dans les zones d’accroissement (ainsi au niveau des sutures crâniennes actives responsables de l’accroissement volumétrique du crâne, donc des possibilités d’expansion du cerveau de l’enfant).

2. L’ostéogenèse à point de départ cartilagineux (base du crâne, os longs, vertèbres, bassin):

– les épiphyses (ou extrémités des os longs, par exemple la tête du fémur) s’ossifient à partir de «noyaux» épiphysaires que l’on voit apparaître dans le temps sur les radiographies du squelette, à un âge et en un lieu déterminés (fig. 11);

– les diaphyses des os longs (dont la croissance est si importante pour l’acquisition de la taille définitive) s’allongent par l’intermédiaire du cartilage de croissance [cf. OS]. Les cellules dites «chondroblastes», dérivées des fibroblastes, se mettent en pile, se divisent, sont pénétrées par des capillaires qui apporteront les éléments nécessaires à la minéralisation des travées osseuses en formation.

La croissance en longueur de l’os est terminée lorsque la maturation et la fermeture du cartilage de croissance sont définitives. Les hormones sexuelles jouent un rôle majeur dans ce phénomène.

La croissance en épaisseur de l’os s’effectue sous l’action de la multiplication et de la minéralisation des fibroblastes de la couche cellulaire sous-périostée. C’est l’ossification périostale.

Les dysmaturations osseuses ou pathologie de la croissance staturale existent, en contre-point, à ces différents niveaux:

craniosténoses du nourrisson par fermeture précoce des sutures crâniennes avec compression cérébrale, cécité, surdité (à moins que le chirurgien n’intervienne pour libérer les sutures);

persistance des fontanelles , en particulier frontale (cas de la «pycnodysostose» avec nanisme dont souffrait probablement Toulouse-Lautrec);

achondroplasie (fig. 12) ou autres chondrodystrophies qui toutes entraînent nanisme et déformations par anomalie du cartilage de croissance;

dysplasie périostale , ou maladie des «os de verre», ou fragilité osseuse congénitale: les fractures spontanées se multiplient dans l’enfance et dans l’adolescence. La sclérotique («périoste de l’os») est bleuâtre parce que dysplasique, mince et laissant voir par transparence la choroïde, membrane pigmentée de l’œil, située sous elle;

nanismes d’origine hormonale , «harmonieux» dans le nanisme hypophysaire qu’on améliore par l’administration d’hormone de croissance dite GH, d’origine humaine, «dysharmonieux» dans le nanisme lié à l’hypothyroïdie et disparu de nos jours depuis que l’hypothyroïdie est dépistée chez tous les nouveau-nés dans nos pays;

carences vitaminiques (rachitisme-vitamine D; scorbut vitamine C) ou nutritionnelles chez des enfants atteints de troubles digestifs, ostéodystrophies chez des insuffisants rénaux, retards de croissance chez des enfants souffrant de cardiopathies congénitales cyanogènes (etc.).

La maturation sexuelle ou puberté

La puberté (étymologiquement, époque où apparaissent les poils pubiens) marque le début de l’adolescence. Après cette véritable métamorphose, la maturation sexuelle sera achevée (fig. 13).

Les «caractéres sexuels secondaires» qui accentuent les différences entre le développement génital et somatique de la fille et du garçon vont s’installer définitivement. Leur apparition est due à la brusque ascension de la synthèse des hormones sexuelles. L’épiphyse exerçait jusqu’à cette époque un frein sur le «gonadostat hypothalamo-hypophysaire». Les releasing factors hypothalamiques, les stimulines hypophysaires (FSH, LH) vont profondément modifier la structure et la fonction des gonades ou glandes sexuelles (testicules ou ovaires).

Chez le garçon

Le volume des testicules augmente vers la onzième année, mais les premiers spermatozoïdes n’apparaîtront que vers l’âge de treize ou quatorze ans. La taille de la verge augmente, le scrotum se pigmente et prend un aspect plissé. La toison pubienne apparaît vers l’âge de douze ans. Les vésicules séminales et la prostate se développent sous l’influence directe de la testostérone, hormone sexuelle masculinisante, que les cellules à sécrétion interne du testicule (ou cellules de Leydig) commencent à synthétiser.

À la période pubertaire correspond une poussée de croissance. La taille doit la plus grande part de son développement à l’allongement des membres inférieurs avant la puberté, et du tronc après la puberté. Puis, nous l’avons vu, les cartilages de croissance disparaissent, se soudent aux épiphyses et toute augmentation de taille est désormais bloquée. La pilosité faciale apparaît, la voix mue, la «pomme d’Adam» ou cartilage thyroïde fait saillie. La masse musculaire passe de 27 p. 100 du poids corporel à huit ans, à 44 p. 100 du poids corporel chez l’adolescent de seize ans.

Chez la fille

Dans nos pays, vers l’âge de dix à douze ans, des follicules ovariens arrivent à maturité, ce qui va entraîner l’apparition des premières règles, mais les tout premiers cycles sont en général anovulatoires. Après plusieurs mois s’installent les cycles ovariens complets avec ponte ovulaire et formation d’un corps jaune, c’est-à-dire que se manifestent alors la production des gamètes femelles et la double fonction hormonale de l’ovaire (œstrogènes puis progestérone selon les phases du cycle).

L’utérus augmente de volume et la première vraie menstruation apparaît généralement un à deux ans après les premiers signes de la puberté. Vers onze ans le soulèvement mammaire est apparu, et l’aréole s’est pigmentée en rose ou en brun. La croissance en taille est plus précoce que chez le garçon et s’effectue en grande partie pendant la phase pré-pubertaire. Le développement musculaire est moins accentué. La répartition du tissu adipeux sous-cutané diffère sensiblement de ce qu’elle sera chez le garçon.

D’importantes modifications psychologiques sont remarquées dans les deux sexes et sont étudiées ailleurs (cf. ENFANCE – Développement psychomoteur).

Les dysmaturations pubertaires

Il ne s’agit plus d’une ambiguïté congénitale affectant le phénotype des organes génitaux externes, mais du non-fonctionnement ou de l’hyperfonctionnement de la glande sexuelle en place: la pathologie de la puberté englobe la précocité, le retard ou l’absence de puberté. Compte tenu des variations physiologiques, on doit établir ces notions non pas en fonction de l’âge réel, mais de l’âge osseux: en règle générale il est voisin de treize ans chez le garçon et de quatorze ans chez la fille lorsque débute la puberté.

– La puberté précoce: le développement de l’adolescent est harmonieux dans son ensemble. La gamétogenèse est constatée. Il s’agit d’une mise en route prématurée du gonadostat hypothalamo-hypophysaire . Une tumeur de l’épiphyse peut être en cause.

– La pseudo-puberté précoce: les caractères sexuels secondaires apparaissent mais ils ne sont pas liés à une évolution normale des gonades. Chez le petit garçon, par exemple, il y a dissociation entre la taille (anormale) de la verge, et la taille (normale) des testicules. Il n’y a pas de spermatozoïdes. Une tumeur de la glande cortico-surrénale est à rechercher, ou chez la fillette une tumeur de l’ovaire hormono-secrétante.

– Les pubertés différées et les impubérismes vrais: la puberté peut ne s’installer que vers quinze ou seize ans et se dérouler ensuite normalement. On ne peut parler d’impubérisme vrai qu’au-delà de cette limite (insuffisance hypothalamique ou hypophysaire de cause variée ou bien insuffisance primitive de l’ovaire – syndrome de Turner par exemple – ou du testicule).

La maturation cérébrale

Il aura fallu au temps près de 400 millions d’années pour quitter le plus vieux des poissons, presque sans cerveau, et parvenir aux rongeurs dont les modestes hémisphères tiennent dans le creux d’une main. 4 millions d’années ont suffi pour passer de l’Australanthrope (450 cm3) à Homo sapiens (1 345 cm3).

Chez l’enfant d’aujourd’hui, l’augmentation régulière du périmètre crânien (p.c.) est le signe indirect d’une heureuse maturation cérébrale (fig. 14). Les fontanelles qui construisent sans relâche de l’os nouveau (cf. supra ) jouent ici un rôle très actif. Si l’on compare le poids du cerveau d’un enfant au poids de celui de l’adulte, le résultat est le suivant: à la naissance, il est d’un quart, pour un poids corporel moyen vingt fois moindre; à l’âge de six mois, il est de la moitié; à l’âge de deux ans, de 80 p. 100.

Nous avons vu plus haut (chap. Organisation) qu’au cinquième mois de la grossesse l’essentiel du système nerveux et des organes des sens est en place. Le programme génétique a tenu la plupart de ses responsabilités. La maturation cérébrale commence. Elle concerne deux grands types de cellules, les neurones et les cellules de la névroglie.

Les neurones

Les neurones prennent leur forme définitive (pyramidale, sphérique, étoilée) et développent leurs prolongements, épines dendritiques et boutons axonaux semblant «explorer» leur environnement immédiat à la recherche de leurs voisins, pour établir avec eux les synapses [cf. DIFFÉRENCIATION CELLULAIRE - Cytodifférenciation végétale]. On pense qu’en général un neurone engendre au début beaucoup plus de liaisons (par ses dendrites) qu’il n’en aura l’usage plus tard. Certaines synapses en surnombre pourraient disparaître. L’activité fonctionnelle régulière d’une synapse lui donne un avantage sur ses voisines et à l’inverse l’absence de fonction empêche la consolidation de certains circuits. Mieux, certaines possibilités dites «archaïques» du nouveau-né doivent disparaître lors des premières semaines de la vie (réflexe d’agrippement; réflexe d’extension et de rapprochement des bras; marche automatique). Leur persistance est un signe de mauvaise maturation cérébrale.

L’organisation des circuits synaptiques représente l’infrastructure de la mémoire, de l’apprentissage, de l’éducabilité (cf. ENFANCEDéveloppement psychomoteur , Opérations et structures intellectuelles ). La raison, la créativité, le jugement ou le bon sens pourront suivre. Avec l’âge, ces facultés s’amenuisent car un neurone détruit n’est jamais remplacé. Toutefois des neurones lésés mais non détruits seraient capables de donner naissance à de nouvelles arborisations dendritiques. Cette neuro-plasticité pourrait persister longtemps sous réserve que le sujet âgé garde des centres d’intérêt, bien entouré sur le plan familial et social. Cet aspect de la sénescence sera abordé bientôt.

Un nouveau-né à terme qui pèse et mesure beaucoup moins qu’il ne le devrait, et dont le périmètre crânien est nettement inférieur à 34 centimètres, est un dysmature . Il a souffert pendant la fin de son séjour dans l’utérus maternel, et cette «fœtopathie» peut avoir gêné aussi son développement cérébral qui sera particulièrement à surveiller.

Un nourrisson qui présentait des troubles de son éveil intellectuel pouvait être atteint d’un mauvais fonctionnement de sa glande thyroïde (hypothyroïdie congénitale ): l’hormone thyroïdienne, la thyroxine, est aussi indispensable à la maturation des cellules nerveuses chez les Vertébrés qu’elle l’est, chez les Amphibiens, pour déclencher leur métamorphose. Aujourd’hui, alors que tous les enfants hypothyroïdiens sont dépistés à la naissance par un test spécial et que de l’hormone thyroïdienne à dose voulue leur est aussitôt administrée, cette cause non négligeable et autrefois irréversible (souvenons-nous des «idiots myxœdémateux») de dysmaturation cérébrale et de nanisme a complètement disparu.

Le redoutable autisme infantile est-il une dysmaturation? Cette psychose infantile est-elle liée à des facteurs génétiques ou à des facteurs d’environnement, familial en particulier? La «sous-alimentation» affective a des effets aussi pernicieux (sinon plus) que la sous-nutrition au sens où on l’entend habituellement.

La névroglie et la myéline

Si le neurone constitue l’élément «noble» du système nerveux en général, et du cerveau en particulier, il dispose, chez les Vertébrés tout au moins, d’une sorte d’intendance, d’un système nourricier sans lequel il ne pourrait exercer ses fonctions. Ce système est la névroglie dont la cellule la mieux connue est nommée oligodendrocyte (cellule «aux dendrites peu nombreuses»). Ces cellules envoient des extensions de leur membrane, en forme de nappes, tout autour des axones des neurones contigus (l’axone est le prolongement neuronique qui fera partie d’une fibre nerveuse). D’un seul oligodendrocyte naissent une quarantaine de ces nappes, très riches en lipides qui s’enroulent autour d’autant d’axones, formant des sortes de fourreaux à couches multiples, «isolant» naturel des axones à l’égard des axones voisins. Cet isolant, c’est la myéline.

La myélinisation du système nerveux central dans l’espèce humaine n’est pas terminée à la naissance. Le processus prendra plusieurs mois et ne s’achèvera même qu’après les premières années de la vie pour certaines structures. Les molécules de myéline sont élaborées en permanence (anabolisme), puis dégradées après usage (catabolisme) grâce à une série d’enzymes actuellement bien connues. Les nouveau-nés et les jeunes enfants soumis à un régime carencé (notamment en lipides) risquent une myélinisation incorrecte. Le fait a été prouvé chez l’animal dans des conditions expérimentales bien déterminées. Qui plus est, même remis ultérieurement à une alimentation normale, les animaux carencés conservent, leur vie durant, une myéline défaillante, cela parce que la première myélinisation est programmée pour un stade précis de l’existence de l’animal, comme il en est pour le nourrisson humain.

Comme les neurones du système nerveux central, ces cellules sont mises en place une fois pour toutes et ne régénèrent jamais. D’où la gravité des maladies démyélinisantes: l’atteinte des fourreaux de myéline va perturber le fonctionnement des neurones eux-mêmes à plus ou moins longue échéance. Certaines «leucodystrophies», source de détérioration intellectuelle inéluctable chez des jeunes enfants, sont liées à des insuffisances enzymatiques d’origine génétique. Ou bien c’est un toxique de l’environnement qui est l’agent causal de la destruction: mercure, plomb, hexachlorophène. Des virus sont parfois probablement en cause. Il n’empêche que la cause de la plus fréquente des maladies démyélinisantes de l’adulte, la sclérose en plaques, n’a pas été élucidée à ce jour.

La maturation normale, régulière, symétrique, synchronique d’un cerveau d’enfant et d’adolescent n’est pas la règle. La maturation, permise par la plasticité cérébrale, programmée génétiquement mais modulée par l’environnement, suit son propre rythme, avec des phases d’accélération et de retard variables selon les apprentissages considérés. «Il faut connaître, lorsqu’on enseigne, le caractère «évolutif» de la maturation cérébrale pour ne pas écarter de la voie des études un enfant qui prend son temps pour se développer» (C. Koupernik).

4. La sénescence

La sénescence ou vieillissement (d’un terme indo-européen wet qui signifie «année», puis latin vetus , «vieux d’une année de plus») est un phénomène biologique naturel qui a sa place dans l’étude du développement humain. Vetus s’oppose à novus comme senex s’oppose à juvenis .

Tous les êtres vivants, en général, ont en commun trois caractéristiques:

– ils connaissent un graduel déclin dans leurs possibilités d’adaptation à leur environnement normal dès qu’ils ont atteint leur période de reproduction;

– tous les individus d’une même espèce ont une espérance de vie fixée: une souris vit deux ans, un chien entre quinze et dix-huit ans, un cheval trente ans, l’éléphant dépasse la cinquantaine (fig. 15). Pour l’espèce humaine, des études se recoupent pour situer entre cent et cent-dix années la barrière biologique infranchissable (the limit set by the Lord , disent les Anglais);

– une corrélation existe entre la longueur de la phase de l’organisation et de la maturation d’une part, et la longévité potentielle d’autre part: par conséquent, la sénescence ne doit pas être envisagée comme un stade isolé de la vie, mais fonction des stades qui la précèdent. Ces stades influencent non seulement l’espoir de vie des êtres mais aussi la durée, la vitesse et les modalités de la sénescence.

La sénescence humaine normale (eusénescence)

Le vieillissement normal se traduit d’abord par des changements apparents qui frappent le tissu conjonctif: notamment le derme de la peau et ses annexes: les rides en sont le premier signe, puis la peau devient fine, les vaisseaux sous-cutanés deviennent visibles par transparence. La perte des cheveux (ou calvitie) est aussi un signe de mort cellulaire: leur blanchiement (ou canitie) signe, lui, la perte de la fonction pigmentaire des cellules de la base du poil. La cellule principale du tissu conjonctif est le fibroblaste. Sa fonction principale est de synthétiser deux molécules fondamentales et très sensibles aux mécanismes du vieillissement: le collagène et l’élastine.

La composition du collagène se modifie avec l’âge, certaines de ses molécules d’aminoacides se raréfient (hydroxylysine), certaines de ses enzymes baissent d’activité (propyl- et lysyl-hydroxylases notamment). L’élastine se dégrade; ses fibres se désorganisent, leurs limites s’estompent, leur structure s’effiloche.

En 1965, dans son laboratoire du Centre médical de l’hôpital pour enfants de Caroline du Nord, Léonard Hayflick a mis en culture des fibroblastes humains empruntés à un fragment de poumon de fœtus. Il a constaté que cette culture se développait normalement in vitro en couche monocellulaire confluente. Prélevant des cellules de ce premier échantillon, il les a repiquées dans un second milieu neuf et ainsi de suite une cinquantaine de fois. Lorsque l’on s’approche des dernières expériences, les cellules se divisent plus lentement, mettent plus de temps à atteindre les bords du flacon. Vers le cinquantième repiquage, les cellules ne se divisent plus, donnent des signes de dégénérescence et meurent.

Si, en cours d’expérience, on prélève des cellules et si on les plonge dans l’azote liquide (face=F0019 漣 194 0C), elles ne meurent pas mais cessent de se diviser. Lorsqu’on les sort de cette «banque» de cellules ainsi refroidies, elles reprennent leurs divisions, même après plusieurs années. Hayflick a démontré que même après ce sommeil prolongé, le fibroblaste «n’oublie pas son âge» si le froid a bloqué la cellule après dix repiquages, après être rentrée en activité à nouveau, elle donnera encore une quarantaine de cultures. Si le blocage est intervenu après trente repiquages, il restera encore à la population cellulaire vingt occasions successives de se développer avant de s’éteindre. Tout se passe comme si les cellules avaient en elles une horloge interne qui tienne en compte les possibilités restantes de la cellule à vivre et à se diviser.

Ce travail d’une portée considérable, mais conduit in vitro , ne signifie pas obligatoirement que les phénomènes se déroulent de la même façon in vivo , notamment dans d’autres tissus que le tissu conjonctif. Mais il donne une idée plus claire de ce que l’on appelle le vieillissement différentiel anormal ou dyssénescence.

La sénescence humaine anormale (dyssénescence)

L’expression d’«usure prématurée de l’organisme» appartient à la terminologie officielle des barèmes que l’expert utilise pour estimer le degré d’invalidité d’un sujet dont les infirmités «normales» s’additionnent d’année en année mais frappent certains tissus ou organes plus volontiers que d’autres.

Le foie (en l’absence d’intoxication alcoolique), le rein (en l’absence de néphrite chronique), le myocarde dans une moindre mesure (car il existe d’assez fréquentes cardiopathies «séniles», même en dehors de tout athérome des artères coronaires, générateur d’infarctus, si banal et si précoce de nos jours dans le sexe masculin en particulier), le tube digestif (malgré l’atrophie de ses muqueuses vieillissantes et les défaillances enzymatiques concomittantes) assurent généralement des fonctions correctes jusqu’à un âge qui peut être très avancé.

Le cristallin, l’oreille, le cartilage des articulations sont en revanche des organes souvent désignés à un vieillissement précoce. On sait la banalité de la presbytie, dès la quatrième décennie parfois, de la cataracte plus tard. On sait la banalité de la presbyacousie liée à une perte progressive et irrémédiable des fonctions de l’oreille interne. L’otospongiose ou otosclérose est une maladie héréditaire qui frappe l’articulation entre un osselet (la platine de l’étrier) et la fenêtre ovale du vestibule. Une chirurgie fine avec mise en place de prothèse à base de nylon peut guérir cette affection qui relève du chapitre de la sénescence articulaire anormale.

Pour la majorité des rhumatologues, les lésions du cartilage articulaire dans l’arthrose de la colonne vertébrale (cervicale, dorsale ou lombaire), des hanches ou des genoux qui sont les plus banales ne sont que le témoin d’une anticipation des phénomènes «normaux» de la sénescence: au microscope les lésions d’une arthrose et celles d’une dégénérescence «physiologique» de la même articulation sont les mêmes. Il arrive que dans certaines familles le vieillissement prématuré du cartilage des jointures apparaisse génétiquement programmé. Mais d’autres facteurs (dynamiques, nutritionnels, endocriniens ou vasculaires) jouent un rôle déclenchant ou aggravant.

La sénescence cérébrale conditionne la qualité de la longévité. Il existe une injuste inégalité des cerveaux à l’égard des processus de vieillissement. Dans les accidents vasculaires successifs qui peuvent l’atteindre (hémiplégie, aphasie, etc.), le cerveau est victime et non coupable. En revanche, la démence sénile (ou presbyophrénie) n’est pas rare. C’est elle, malheureusement, qui est responsable du passage du «troisième» au «quatrième» âge. L’atrophie du cortex cérébral est décelable par le scanner. À l’autopsie on trouvera des circonvolutions rétrécies, des sillons élargis. La substance blanche présente de nombreuses lacunes. Les cellules neuronales sont atrophiées, surchargées de pigments anormaux dont la composition n’est pas entièrement élucidée. Peu de recherches fondamentales sont actuellement consacrées à ce sujet pourtant de premier intérêt. Et pourtant, nous l’avons vu, la neuroplasticité, sinon le remplacement des neurones, pourrait exister jusqu’à un âge avancé.

Il existe de nombreuses «théories du vieillissement». Les unes (théories des mutations somatiques, théorie des erreurs) sont dites «stochastiques» (du grec 靖精礼﨑見靖精兀﨟, le «devin», et par extension le «hasard»). Les autres, plus récentes (théorie de l’arrêt des réparations de l’ADN, de la restriction des «codons» du message génétique, de la régulation génétique), sont dites théories du «vieillissement programmé». Ces dernières prennent en compte le résultat des travaux de Hayflick et aussi l’étude des «modèles humains» apportés par la pathologie génétique: dans la progéria de l’enfant, dès les premiers mois de la vie la peau est fine, transparente, sans pannicule adipeux et ressemble à celle d’un vieillard, et la calvitie est complète. Dès l’âge de douze ans l’athérome et l’hypertension artérielle sont présents et l’atrophie génitale est constante. Ces enfants sont sourds et, jeunes vieillards, ils meurent entre 15 et 25 ans. Dans la progéria de l’adulte (ou maladie de Werner), les mêmes signes apparaissent, mais à l’adolescence, et il existe une cataracte très précoce. Lorsqu’on cultive les fibroblastes de ces malades selon la méthode de Hayflick, la culture ne survit pas au-delà du douzième passage...

«Le développement de l’humanité ressemble à celui de l’individu qui a une enfance, une jeunesse, une virilité, une vieillesse» (Ernest Renan, Dialogues et fragments philosophiques ). À quel stade sommes-nous du développement de l’humanité? Nous pouvons répondre: au stade où, grâce aux progrès de la connaissance en biologie, l’individu sait (presque) comment il naît, grandit, mûrit, vieillit et meurt.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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